À quelques semaines de la Cop 21, un instrument du XIXe siècle
s’avère plus utile que jamais. Après avoir fixé le zéro des cartes, le
marégraphe de Marseille mesure l’augmentation du niveau de la mer.
Renaissance. Niché dans le dur calcaire de la corniche de Marseille,
le marégraphe revient de loin. Dans ce solide bâtiment de pierre de
taille se cache une petite merveille de la technologie du XIXe siècle qui, après avoir failli y passer, fonctionne toujours comme une horloge. Ce « phare à l’envers »,
comme l’appelle Alain Coulomb, ingénieur à l’Institut géographique
national (IGN), qui en a la responsabilité complète depuis 1992, a été
construit pour mesurer le zéro des cartes françaises.
La machine, véritable horloge, a été construite à Altona en 1884.
Pendant ses douze premières années, cet assemblage de pièces de
cuivre, d’engrenages et de pignons protégés par un écrin de verre et de
bois a mesuré scrupuleusement la hauteur de la mer. L’engin traçait des
marégrammes sur des feuilles de papier de craie recouvertes d’huile du
phare du Planier, au large de Marseille. Calculs faits, le zéro a été
fixé, gravé dans le marbre ou plutôt dans les murs de l’Hexagone.
350 000 bornes dites du NGF (Nivellement général de la France) y sont
depuis scrupuleusement entretenues par l’IGN.
500 000 euros réinvestis
Mais une fois cette mission « terrestre » initiale accomplie, à quoi
peut bien servir un marégraphe planté au bord d’une mer sans marée ? « C’est vrai que dans les années 1980, on a pu craindre qu’il ferme, glisse Alain Coulomb. Nos
collègues anglais et américains s’en inquiétaient, tant l’outil est
unique. Heureusement, il n’en est plus du tout question désormais. »
Pendant ses douze premières années, cet assemblage de
pièces de cuivre, d’engrenages et de pignons protégés par un écrin de
verre et de bois a mesuré scrupuleusement la hauteur de la mer.
Avec les enjeux du changement climatique, le marégraphe, dans lequel
l’IGN a réinvesti 500 000 euros prélevés sur son propre budget en
2006-2007, devient un outil stratégique. Sa machine horlogère, reliée
par un câble de 8 mètres à un flotteur posé dans un puits d’1,90 mètre,
lui-même alimenté par un tunnel de 8 mètres branché sur la Méditerranée,
mesure scrupuleusement la hauteur de la mer non-stop depuis 130 ans.
Alain Coulomb, ingénieur à l’IGN, à côté du puits de 1,90 mètre où se situe le flotteur.
Tout a été fait pour éviter les erreurs : la galerie est garnie
d’obstacles pour casser la houle et laisser le flotteur, 90 cm de
diamètre, dans une tranquillité absolue. Verdict constaté depuis 1885 :
le niveau de l’eau s’est élevé de 16 cm. « La mer monte, pas
partout dans les mêmes proportions, et va continuer à monter, même si on
interdisait demain les voitures et les usines », résume Alain Coulomb.
Un observatoire moderne
Ce constat fait, il faut savoir comprendre et anticiper les
prochaines évolutions. Le marégraphe de Marseille, parfaitement
complémentaire de l’altimétrie spatiale (par les satellites du réseau
Topex-Poseïdon), a donc de l’avenir. Ses mesures sont intégrées au
rapport du chercheur rochelais Guy Wöppelmann dans le cadre des travaux
du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat)
présentés pour la prochaine Cop 21, la grande conférence sur le climat à
Paris en décembre. « Le marégraphe est loin d’être un musée. C’est au contraire un observatoire moderne en parfait état de fonctionner, plaide son gestionnaire. Il faut plus que jamais continuer à mesurer pour comprendre l’évolution du climat. »
L’engin traçait des marégrammes sur des feuilles de papier de craie recouvertes d’huile du phare du Planier.
Grâce à sa machine construite à Altona, près d’Hambourg, par
l’ingénieur allemand Reitz en 1884, l’outil est ainsi le seul des
400 marégraphes dans le monde à être dit « totalisateur », c’est-à-dire
permettant de calculer aussitôt le niveau de la mer sur une période
donnée sans avoir à faire les additions manuelles. Cela lui vaut d’être
classé aux monuments historiques depuis 2002.
Mieux que le numérique ?
Le littoral français compte par ailleurs 46 marégraphes numériques
appartenant au système Ronim (Réseau d’observation des niveaux de la
mer) sous la responsabilité du Service hydrographique et océanographique
de la Marine (Shom), à Brest.
Depuis 1998, Marseille a également le sien : grâce à un capteur
radar, il envoie toutes les dix minutes ses mesures à Brest et au siège
de l’IGN à Saint-Mandé (Île-de-France). Mais le numérique a ses failles.
« Cela peut faire sourire, glisse Alain Coulomb, mais
on s’est aperçu qu’il dérivait depuis quelques années et, il y a six
mois, on a dû le recaler par rapport à notre bon vieil instrument du XIXe siècle. » Une horloge…
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