Le dernier bateau bœuf de la Méditerranée française a été remis à l’eau. Née en 1881, l’Espérance a été restaurée sous les doigts magiques de Yann Pajot, agent du Parc naturel régional de la Narbonnaise et charpentier de marine.
1881 n’est pas que le nom d’un parfum pour homme de Nino Cerruti, c’est aussi l’année où le président américain James A. Garfield prête serment en mars mais est assassiné six mois plus tard ou encore la création d’un bateau bœuf. Indissolublement lié à l’histoire du port de Sète, c’est entre Narbonne et Gruissan, sur les bords de la Robine, que le grand voilier de pêche a retrouvé son lustre. 144 ans plus tard, on retrouve sur les bords de la Robine, au domaine de Grand Mandirac, ce plus ancien bateau de travail à la voile et dernière embarcation de ce type en France.
Lundi 6 janvier, avant sa mise à l’eau, L’Espérance est portée sur les fonts baptismaux. Son parrain, Didier Codorniou, directeur du Parc naturel régional de la Narbonnaise en Méditerranée, organisme reconnu pour son expertise en matière de conservation du patrimoine maritime méditerranéen, l’ondoie : "Quel beau nom que celui de l’Espérance. C’est une sacrée histoire et de belles histoires que transporte ce bateau. Il vient redonner du sens à ce que nous faisons dans un temps long. Nous sommes dans une société très connectée et tout va tellement vite que l’on ne prend plus le temps. Là, nous l’avons pour savourer ce qui se passe dans le cadre de la tradition. Fatigué par le poids des années, cette opération de la dernière chance a permis au Parc, et en particulier à Yann Pajot, qui a une renommée nationale, voire internationale, de restaurer grâce au remarquable chantier d’insertion des charpenteries de marine, ce non moins remarquable bateau bœuf, passeur de mémoire."
Et de citer Paul Valery : "Il n’y a pas dans toute la Méditerranée de bateaux de pêche aussi forts, aussi beaux que les nôtres. Rien n’est plus gracieux que la gerbe des antennes de nos bœufs quand ils sont à quai et bordent le vieux port."
"Il va rentrer à la maison"
Christine Antoine, adjointe déléguée au Patrimoine et aux Musées de la Ville d’Agde, exprime ensuite, face au public essentiellement constitué d’agents du Parc, mais aussi de la Drac, "sa fierté. Les Agathoises et les Agathois retrouveront bientôt leur bateau à quai (il a été construit au chantier Vidal de la ville, NDLR). Il va, au bout de tant d’années, rentrer à la maison, place de la Marine, où nous lui avons réservé un quai patrimonial. C’est aussi un soulagement qu’il soit enfin restauré après cette aventure humaine".
À la tête d’un chantier d’insertion, fier de ses équipes, Yann Pajot est aussi fier alors que va être remis à l’eau "le dernier bateau bœuf de la Méditerranée française, le plus vieux bateau de travail à voiles des côtes de France. À l’époque, rien que le port de Sète, armait 72 bateaux et on appelait ça bœuf parce que deux bateaux naviguaient de concert en tractant un filet. Il a fonctionné comme ça durant très longtemps avant d’être transformé en bateau de servitude. Il a notamment participé à l’enrochement du port de Monaco avec deux bathyscaphes de chaque côté, il a appartenu ensuite au club de plongée de Monaco où vous aviez prince et princesse qui ont plongé depuis L’Espérance. Il s’est aussi appelé Le Dauphin".
Coulé dans le fleuve Hérault
Le charpentier de marine raconte encore : "L’Espérance a été également achetée par trois copains dans les années 1980 alors qu’il était déjà bien abîmé. Ils l’ont amené à Canet-en-Roussillon puis l’ont monté en Alsace, par les canaux, pour le refaire. Des promenades étaient organisées à bord depuis Canet puis il a été abandonné. Il a été inscrit aux Monuments historiques par une commission qui a récupéré deux bateaux, L’Espérance, mais aussi Le Tarzan qui vient d’arriver chez nous. L’Espérance a été ensuite rachetée par un homme, depuis décédé, et qui l’avait ramené à Agde. Sauf qu’il a coulé dans l’Hérault il y a une quinzaine d’années… Il y a eu plusieurs tentatives de renflouement jusqu’à ce que, lorsque nous réparions la goélette majorquine de 1916 Miguel Caldentey, long de 30 m, je profite d’une visite du ministère de la Culture et de Yann Mauffret, charpentier de marine, pour m’inquiéter du sort de L’Espérance. Yann est parti à Agde et a fait déclencher une nouvelle tentative de renflouement en 2012 qui, cette fois, a abouti." Treize ans après et une totale restauration plus tard, L’Espérance est mise à l’eau à 15 h 50.
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