Marseille reconstruit un navire de l’Antiquité
Lancé en mars, le projet d’archéologie expérimentale Prôtis construit la réplique d’une embarcation du VIe
siècle av. J.‑C. avec les techniques de l’époque.
Les charpentiers du Gyptis ont dû « tout réapprendre », à commencer par la manière de construire un bateau.
Penché sur la coque du Gyptis,
Henri passe et repasse un fil de lin pour joindre deux planches et y
fixer une bande assurant l’étanchéité, selon la technique dite « du
bateau cousu ». Le travail est « fastidieux », mais il « a du sens » pour cet étudiant parisien en archéologie de 20 ans, bénévole au sein du projet Prôtis.
« Reproduire les mêmes gestes que ceux des charpentiers grecs il y a deux mille six cents ans, c’est émouvant, confie-t-il. Cet artisanat oublié constitue notre mémoire et notre héritage. »
Une barque côtière de 10 mètres
Si la réplique a été baptisée Gyptis,
c’est en hommage à la fille du roi des Ségobriges qu’épousa le Grec
Prôtis, venu de Phocée. De leur union est née Marseille. Depuis mars
dernier, des archéologues et quatre charpentiers de marine
reconstruisent cette barque côtière de dix mètres de long datant de la
seconde moitié du VIe
siècle av. J.‑C.
L’épave de l’original avait été retrouvée en 1993, lors de fouilles préventives sur la place Jules-Verne à Marseille. « Cette
réplique va nous permettre de mieux comprendre les méthodes de
construction et les savoir-faire mis en œuvre. Jusqu’alors, nous
n’avions que des hypothèses théoriques », explique Patrice Pomey,
directeur de recherche émérite au laboratoire d’archéologie
méditerranéenne Camille-Julian et responsable du projet.
Sans colle, ni clou, ni vis
Séduit par « un pari collectif qui rend hommage aux premiers charpentiers et à l’histoire de Marseille », Denis
Borg, directeur des chantiers naval Borg, a immédiatement prêté
machines et hangar. Sans colle, ni clou, ni vis, les quatre charpentiers
du projet ont dû « tout réapprendre », à commencer par la manière de construire un bateau.
« De nos jours, on pose des membrures, qui constituent le squelette du bateau, avant d’y clouer des planches. Sur le Gyptis, ces dernières sont assemblées sans support, ce que nous n’avons plus du tout l’habitude de faire », explique Pierre Poveda, docteur en archéologie navale, qui dirige le chantier.
« Joindre parfaitement les planches sans appui est très difficile et très long », confirme Nabil, un charpentier de 46 ans. Son confrère Thierry apprécie, lui, de revenir aux origines de son métier : « Sculpter des pièces dans un tronc d’arbre, c’est quelque chose qu’on ne fait plus », savoure ce charpentier, admiratif devant « l’assemblage complexe et très solide » de ses confrères grecs : « Compte tenu de leurs moyens archaïques, c’est impressionnant. »
Ces
ouvriers ne sont pas au bout de leur peine. Pour coudre le bateau, il
leur faudra creuser à la main 10 000 trous dans la coque et y glisser
huit kilomètres de fil, maintenus par 20 000 minuscules chevilles
fabriquées manuellement. À ce jour, cinq des sept planches qui
constituent la coque sont montées.
Pour respecter les délais –
les premiers essais en mer sont prévus mi-octobre –, deux entorses à
l’Antiquité ont été concédées : l’emploi d’une perceuse et l’achat de la
voile en lin de 25 m², bâtie sur le modèle d’un store vénitien.
Le Gyptis naviguera
début novembre entre Marseille, Cassis et La Ciotat pour tester sa
vitesse et la maniabilité de sa voile. En attendant, pour « partager ce patrimoine », le chantier est ouvert tous les jours au public. Près de 500 personnes l’ont déjà visité.
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